Dear Mother - Celestine & Esus

Un éclat de rire retentit dans le laboratoire. A la surprise du scientifique, c’était bien sa collègue du département de lithologie qui venait de s’esclaffer à sa blague. Célestine se surprit elle-même. « Fais plaisir de voir que mes blagues te font rire. On commençait à croire que tu avais perdu ton sens de l’humour.
-Ah oui ?
-Ouais, c’est juste que, tu sais, t’es plus calme que d’habitude. » Son collègue marqua une pause, puis dévisagea la spécialiste des gemmes spirituelles.
« Tout va bien ?
-Oui, tout va bien. »
Voyant que son collègue, qui était sur le départ, gardait sa main sur la porte, elle ajouta un semblant de vérité.
« Si tu veux tout savoir, pourquoi j’étais moins d’humeur à rire ces derniers temps, c’est qu’un de mes fils a décidé de jouer les acrobates, et avec cette neige, il a glissé. Il va bien, une cheville de foulée, mais sur le moment je t’avoue ne pas avoir ri et sa cheville n’est pas encore totalement rétablie, mais c’est en bonne voie.
-Ah oui, je comprends mieux ! Pareil pour moi, quand mon fils s‘est pris le bonhomme de neige, j’ai pas ri tout de suite, maintenant à chaque fois que j’y repense, je peux pas m’empêcher d’en rire.
-Il s’est pris un bonhomme de neige ?
-Ouais, il s’est disputé avec sa sœur, pour qui mettrait la carotte au bonhomme de neige et en courant, il est rentré dedans. »

Célestine se joignit au rire de son collègue, qui avait mimé la scène.

« Ah il t’en a fait une belle aussi !
-Ouais ! Ah, je te jure les enfants, jamais de répit. Ils cesseront jamais de m’étonner. En tout cas, je suis soulagé qu’il y ait rien de grave. On dirait que c’est la période, mais avec ce temps, c’est pas étonnant, entre celui de Charles qui est malade, le tien qui se blesse et le mien qui se prend un bonhomme de neige.
-Oui, sacré temps et sacrée anecdote. »

Elle lui sourit et ils se saluèrent. Célestine se retrouva seule au laboratoire, seule avec ses pensées. La scientifique tenta de se plonger à nouveau dans ses recherches. Ces dernières la passionnaient. Il s’agissait de déterminer la composition minéralogique d’une gemme, pour leur prochain papier, mais la remarque de son collègue la travaillait. Au laboratoire, elle était simplement Célestine, pas une Falcone, pas une des membres décisionnaires du conseil de la mafia. Elle n’avait pas la pression de l’Obsidienne sur ses épaules, pas la peur de perdre son mari ou ses enfants. Il n’y avait pas de batailles, mis à part les guerres d’ego, qui n’étaient rien face à la guerre de pouvoir que se livrait l’Obsidienne sur Osvenbourg. Au laboratoire, elle était la scientifique érudite, toujours là pour faire avancer les connaissances. Pourtant même au laboratoire, elle cachait qui elle était vraiment, la véritable Célestine Falcone.

Le secret, les illusions avaient toujours été son fort. Ce n’était pas pour rien que la gemme de l’illusion lui avait été remise à ses dix ans. Et cet art, elle l’avait perfectionné avec les années, mais pas seulement via sa gemme. Néanmoins, il semblerait que la peur si longtemps muselée commençait à ronger ses entraves, entachant ses dissimulations. Si ses collègues avaient pu voir que quelque chose la tracassait, il était possible que l’Obsidienne le remarque. Pire que la cheffe de la mafia, sa sœur aînée Maria le remarque. Dans ce cas, comment pourrait-elle protéger sa famille dans l’ombre ? La peur la saisit davantage. Cependant, la peur de perdre ses proches et de ne pas être capable de les protéger faisait partie intégrante de qui elle était. Elle savait la domptait pour ne pas en être consumée. C’est ce qui lui permit de remonter le fil des événements.

Célestine chercha la réponse à la question qui venait d’émerger dans son esprit. Depuis quand sa carapace avait-elle commencé à se fissurer ? La scientifique chercha par tâtonnement, se posant des questions, réfutant des hypothèses et en explorant d’autres, jusqu’à ce qu’elle finisse par trouver. Gaïa. Le souvenir de sa dernière dispute avec sa fille cadette lui revint. Depuis quelques temps, elle l’évitait pour ne pas avoir à lui avouer davantage de vérité. A force d’insistance, sa sculptrice de gemme préférée avait réussi à fendre la carapace de sa mère pour lui extorquer des secrets, notamment que Célestine avait œuvré à ce que Gaïa devienne sculptrice, accédant au désir de sa fille, malgré une apparence lui prouvant le contraire. La reine des illusions n’avaient pas voulu lui révéler cette information, mais de lassitude, elle avait fini par craquer, pensant qu’elle avait perdu sa fille, mais qu’au moins, elle la protégeait. Comment le ferait-elle si elle n’était plus capable de dissimuler ses angoisses. Et comment protégerait-elle ses autres enfants et son mari, si elle n’était plus capable d’opérer cachée ? Elle songea alors à celui qui était également un maître en la matière de ne pas exprimer ses sentiments au reste du monde : Esus. La différence avec son fils aîné, c’est qu’il ne semblait pas en avoir. En y pensant, un sentiment de tristesse s’abattit sur Célestine. Son fils semblait-il si cruel, parce qu’il était naturellement peu sentimental ou Célestine en était-elle la cause avec son éducation stricte pour qu’ils survivent au sein de l’Obsidienne ? Avec la mort de son frère, qui ne cessait de la hanter, elle avait pris la décision de protéger ses enfants, à n’importe quel prix. Elle avait vu les conséquences sur Gaïa. Qu’étaient-elles sur Esus ? Il était son fils aîné, celui avec qui elle veillait sur ses autres enfants, celui à qui elle faisait le plus confiance parmi ses enfants pour garder un secret et veiller sur les autres. Cependant, il était aussi précisément l’objet de ses inquiétudes. Il avait pris la première place sur le podium habituellement réservée à Gaïa. Depuis sa chute en mission pour l’Obsidienne, Célestine s’inquiétait. Depuis qu’il était blessé à la cheville, il avait été exclus des missions, et assigné au Lupin. Elle savait que le terrain lui manquait. Elle savait également qu’il était assez intelligent pour savoir, que pour l’instant, sa place était au bar et non sur le terrain. Pourtant, elle avait peur que son désir d’aventures ou le manque d’action avec sa partenaire de crime, sa jumelle Onyx, ne lui attire des ennuis. Onyx l’inquiétait également. Il y avait également tout un chapitre d’inquiétude que Célestine pouvait remplir pour sa fille aînée, de même que sur son benjamin. Pour l’heure, c’était Esus, qui occupait ses pensées.

Elle se rémora son retour de mission et son coeur se serra. Certes, il s’en était sorti, mais ce n’était pas qu’une cheville foulée, comme elle l’avait raconté à son collègue. C’était également des ecchymoses et quelques côtes cassées, mais la mafieuse n’avait pu s’empêcher de penser que ça aurait pu être pire. Bien qu’il s’en soit sorti, la douleur qu’il ressentait de temps en temps n’avait pas échappé à sa mère. Célestine utilisait dès qu’elle le pouvait sa gemme de poison pour le soulager. Elle savait que la dose était le poison et elle faisait de son mieux pour doser correctement ce qu’elle lui administrait. C’était encore ce qu’elle pouvait faire de mieux pour son fils dans l’ombre.

Célestine regarda dehors. La nuit commençait à régner sur la ville. Il était de temps de rentrer, surtout maintenant qu’elle avait la réponse à sa question et que même son travail n’occultait pas son inquiétude pour Esus. Elle rassembla ses affaires, ferma le laboratoire et quitta le Palais de la découverte, mais ne prit pas le chemin de la maison. Elle se rendit au Lupin, pour voir son fils. En y entrant, quelques têtes se tournèrent vers elle. Le charisme de la Falcone, son chignon impeccable, son maquillage la mettant en valeur ainsi que sa robe de couleur saphir pouvaient en être la raison, mais le fait qu’elle soit une étrangère de cet établissement était également probable. Ses yeux bleus cherchèrent son fils. Elle le trouva au comptoir et s’en approcha.

La mère sourit intérieurement lorsque son fils fit semblant de ne pas la connaître, en lui souhaitant la bienvenue au Lupin. L’admiration et la fierté éclipsèrent pour un temps son inquiétude. Elle était fière de son fils, fière de sa prudence, et admirait son intelligence. Elle s’installa en face de lui. Il s’enquit de la boisson qu’elle voulait. C’était une question anodine et légitime pour un barman. Là encore les apparences étaient trompeuses. Derrière la réponse se cachait une deuxième lecture. Avec ses enfants, la mafieuse avait instauré un système de code connus d’eux seuls. C’était moins élaboré que le langage qu’elle avait créé avec sa jumelle durant son enfance, mais plus efficace. Depuis qu’Esus était au Lupin, le code avait pris la forme des noms de cocktails. Etant déjà dans une relation compliquée avec sa fille cadette, la prodige des illusions avait délégué la transmission de la combine à son fils, preuve de la confiance qu’elle avait en lui. Elle cachait moins de choses à Esus qu’au reste de ses enfants. Avec son aîné, elle avait un rapport mutuelle de protection. Cependant, comme pour ses autres enfants, elle gardait ses secrets. Aucun ne savait pour les cicatrices sur son dos, vestiges des coups de fouet donnés par son père durant son adolescence, pour la punir elle et sa jumelle d’avoir voulu duper leur monde et surtout l’Obsidienne. De même qu’ils ignoraient son tatouage et la cicatrice de son flanc gauche, faite également par son père.

Célestine hésita à lui donner le nom de celui signifiant qu’ils parleraient des missions ou de l’Obsidienne. Elle opta finalement sur celui des blessures, qui pouvait s’extrapoler à la santé générale d’un individu ou de leur famille. Célestine décida d’être honnête avec son fils et de lui dire la véritable raison de sa venue : elle était là pour voir comment il allait, car elle s’inquiétait. « Un Bloody Mary, s’il vous plaît. Le dosage à votre convenance. » En fonction de la façon dont son fils préparerait le cocktail, elle aurait la réponse à sa question.

Tandis qu’Esus préparait sa boisson, Célestine balaya le bar, se demandant lesquels des clients étaient des habitués et lesquels étaient de passage. Elle se demanda également lesquels étaient des sous-fifres de l’Obsidienne, gravitant autour de la mafia. Peut-être que le fait d’être venu voir son fils lui donnerait également une vision du bas de l’échelle, elle qui en était en partie à la tête.

Codage par Libella sur Graphiorum